after hours

plusieurs semaines se sont écoulées, peut-être même quelques mois depuis leur dernier rendez-vous. thelma a reçu un nouvel sms, hier soir, pour qu'ils se voient. elle a attendu, pesé le pour et le contre pendant un moment, mais le sentiment de culpabilité l'a vite envahie, d'un coup, et l'a engloutie toute entière, parce qu'elle a fait défilé la conversation et n'ose pas compter le nombre de plans qu'il lui a proposé, ike, et le nombre d'excuses bidons qu'elle lui a envoyé. trop de travail (la blague), soirée de prévue (plus réaliste), malade (mensonge). mais il s'accroche encore, il essaie, et elle lui donne un peu, juste un peu pour ne pas être une trop mauvaise sœur et pour qu'il ne puisse pas lui faire de reproches légitimes. juste un peu pour qu'ils ne rompent pas définitivement le contact, parce que malgré tout, elle aime ces moments passés avec lui, et ça la tuerait de ne plus avoir de nouvelles une nouvelle fois. mais pas trop non plus, parce qu'elle a changé depuis l'époque où ils étaient proches, vraiment proches, parce que si elle n'était pas suffisamment à la hauteur avant pour qu'il reste, elle ne l'est sans doute pas maintenant. et elle est loin de se sentir suffisamment forte pour lire la déception dans son regard, vraiment pas. thelma arrive avec une dizaine de minutes en retard au café où ils doivent se voir, parce qu'elle n'arrivait pas à mettre la main sur ses lunettes de soleil dans sa chambre. elle a fouillé, retourné tout le bordel, et a fini par abandonner l'idée et a pris les lunettes de louise. elle cherche la chevelure blonde de son frère dans le café, et un sourire s'empare de son visage lorsqu'elle le voit sur la terrasse. elle s'installe en face de lui, profite de la présence d'un serveur dans le coin pour commander un café. "comment tu vas?" elle demande, en laissant ses yeux, planqués derrière ses grandes lunettes, dévisager son frère. parce qu'à chaque fois, elle est un peu surprise. parce qu'il ne reste plus rien du ike qu'elle connaissait quand elle était adolescence. parce qu'il a grandit, vieillit, aussi. c'est devenu ce quasi-étranger, qui a semble avoir muré, énormément.

Thelma, c'est toujours compliqué de la voir. Tu continues de lui proposer spontanément des trucs mais c'est presque si tu n'attends plus ses réponses, ça te lasse un peu de lui courir après, mais tes remords reprennent vite le dessus alors quand elle refuse c'est de nouveau avec enthousiaste que tu lui proposes quelque chose une ou deux semaines plus tard. T'as décidé que tu n'abandonnerais pas ce combat là, celui de te rapprocher de ta soeur. T'es bien conscient qu'y a des non-dits entre vous, des trucs qu'elle garde pour elle et dont t'as pas idée, t'as parfois l'impression qu'elle t'en veut, qu'elle te fait volontairement galérer, mais tu te dis qu'elle doit avoir une bonne raison, qu'elle est jeune, qu'elle finira peut-être par changer d'avis, par prendre les choses différemment. Tu sais pas bien ce que t'as pu faire qui aurait pu la blesser, si c'est le cas. Mais bon, pour toi l'important c'est de maintenir le lien, parce que Thelma, c'est un peu ta seule famille. Ta relation avec tes parents n'est plus au beau fixe depuis que t'as quitté le nid familial sur un coup de tête pour pouvoir décider toi même de ton destin, chose qu'ils t'interdisaient.
Quand elle a accepté ton invitation, t'as été carrément surpris et t'es même arrivé en avance sur le lieu de votre rendez-vous, ce qui est un miracle vue ta réputation pour le sens des convenances et surtout pour ce qu'il s'agit d'être à l'heure. Alors en avance. C'est un événement à marquer d'une pierre blanche dans tous les manuels scolaires.
Finalement Thelma n'arrive pas à l'heure, elle, comme quoi c'est peut-être un truc de famille cette histoire de retard. Elle s'installe en face de toi, commande un café et te demande comment tu vas. Tu l'observes un instant, un peu perplexe, puis tu portes ton verre de limonade à tes lèvres.
- Ça va et toi ? J'suis étonné que t'ais pu enfin dégager du temps pour ton vieux frère. Ça me fait plaisir, tu la railles un peu en te redressant sur ta chaise.
Le serveur arrive et lui ramène son café.
- Qu'est-ce que tu fais en ce moment ? Tu bosses toujours dans ce supermarché ?

@Thelma Lovegood I love you

et bam, aussi rapidement que ça, y'a ce sentiment de culpabilité qui débarque. ce petit nuage noir qui se colle au dessus de sa tête, prêt à tout foutre en l'air dès la moindre occasion. elle se demande si les quelques mots prononcés par ike cachent un reproche. s'il lui en veut, s'il est blessé, si ça compte pour lui, ces moments. quand il s'agit de se poser encore plus de questions, son cerveau s'active à une vitesse impressionnante, étrangement. elle essaie d'envoyer ces mauvaises pensées loin, très loin. elle arrive même à se convaincre temporairement que, de toute manière, c'était pas sa faute, à elle, elle était débordée, vraiment. et puis, qu'il choisissait toujours les mauvais moments pour la voir. elle se pare d'un grand sourire thelma, un moyen comme un autre d'oublier les centaines de reproches que son frère pourrait lui faire. "je suis désolée, c'était compliqué en ce moment à la coloc, on a eu pas mal de déménagements et on a du trouver d'autres colocataires, c'était la merde, vraiment, on avait pas mal de visites, tout ça" peut-être qu'elle en fait un peu trop, qu'elle parle un peu trop vite. elle surjoue, elle mythonne à sa façon, comme d'habitude. même si ça part d'un fond de vérité, honnêtement, les déménagements, elle s'en fiche, thelma, parce qu'elle s'arrange pour rester en dehors du bordel que ça peut occasionner. évidemment qu'elle a veillé à être absente pour presque toutes les visites, parce que laisser les tâches ingrates à ses colocataires, ça reste son activité favorite.
et son café arrive, elle remercie le serveur, et elle ressent un léger soulagement quand ike change de sujet. thelma, elle aimerait pouvoir lui raconter des choses merveilleuses, vraiment, être à sa hauteur, pleins de projets, pleins de réussites. elle peut se résoudre aisément à faire miroiter ses parents avec du bénévolat fictif, des projets de reprises d'études, tout ça, pour les rendre un minimum fier. mais ike, non. elle cache la misère, à ike, c'est suffisant. "toujours oui, mais je vais bouger je pense, mon boss est un gros con et... je sais pas, j'ai envie d'autre chose." elle répond, sans trop savoir ce que pourrait être cet autre chose. y'a cette envie de changement, de nouveauté. mais y'a cette crainte de l'inconnu, de se foirer aussi. elle boit un peu de café, reporte très vite son attention sur ike. "et toi, quoi de neuf? t'es toujours en contact avec les parents?" question presque anodine, mais elle préfère être rassurée, thelma. que tout continue à aller presque bien dans la famille.